Lecture
Voilà un bouquin qui a l'air très sympa et que je m'achèterai peut-être... A lire avant de partir en tout cas car je doute qu'il soit autorisé dans le pays...
Lire quelques pages en version originale
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"Une odyssée birmane", de Pascal Khoo Thwe : la Birmanie vue de l'intérieur
Le témoignage de Pascal Khoo Thwe est rare et c'est à James Joyce qu'on le doit. A la passion que ce Birman originaire d'une tribu de femmes-girafes a nourrie, voilà vingt ans, pour l'écrivain irlandais. A la curiosité que cela a suscitée, par hasard, de la part d'un professeur de Cambridge, un soir, dans une gargote moite de Birmanie. L'histoire est vraie et elle mérite son titre : "Odyssée birmane".
C'était au mois de février, en 1988, à Mandalay, dans les hautes terres chaudes du pays. Le professeur de Cambridge attablé s'appelait John Casey. Celui qui le servait, Pascal Khoo Thwe. Il avait 21 ans. Il était étudiant en lettres anglaises. Et c'était presque une incongruité, en ces années de socialisme autoritaire, sous l'égide du général Ne Win, au pouvoir depuis 1962, après un coup d'Etat. Le professeur laissa ses coordonnées. L'histoire et la chance firent le reste.
C'était seulement quelques mois avant la répression des manifestations étudiantes d'août 1988, l'une des plus sanglantes que la Birmanie ait connues. Quelques mois seulement avant que Pascal Khoo Thwe, jeune Birman sans histoires, se découvre une "conscience révolutionnaire". Jusqu'alors, "la pensée autonome (lui) paraissait un péché". Les mots "boycott", "grève" ont été "comme apprendre une nouvelle langue". Très vite, comme de nombreux autres étudiants birmans, ses prises de position le contraignent à la fuite. Obligé à la marche à travers la jungle, en tongs, l'armée aux trousses. Forcé au combat armé, à la frontière birmano-thaïe, où il trouve refuge aux côtés de l'ethnie Karenni, l'une des nombreuses minorités birmanes qui, encore aujourd'hui, refusent la tutelle de la junte au pouvoir.
"UNE FAÇON DE NE PAS OUBLIER"
Coincé dix mois durant dans un quotidien dément, entre malaria cérébrale, infections cutanées, repas de survie à base de rats, champs de mines, cadavres putréfiés, Pascal Khoo Thwe parvient à envoyer un courrier à l'universitaire anglais. Presque pudique : "Cher monsieur, (...) je suis en mauvaise santé, je manque de nourriture et d'autres nécessités. J'apprécierais toute aide ou suggestion venant de vous (...), je suis toujours désireux de suivre mes études d'anglais à l'avenir."
Les réseaux influents de John Casey permettent finalement d'exfiltrer l'étudiant pour le Caius College de Cambridge. Et c'est là, dans les petits matins froids et brumeux de l'Angleterre, où il est le seul étudiant étranger inscrit en littérature anglaise, que Pascal Khoo Thwe commence à rédiger, en 1991, le témoignage qu'on lui doit. Des morceaux de vie, en fait, qui lui reviennent au coup par coup, et qu'il consigne, sans ordre véritable, parfois en quelques lignes, d'autres fois en feuillets doubles, dans un carnet.
Une façon de "pratiquer (son) anglais". D'apprendre à disserter - l'une des choses "les plus dures" auxquelles il ait été confronté, car "l'idée même d'une opinion personnelle" était "comme désamorcer une mine". "Une façon de ne pas oublier", surtout, comme il le raconte aujourd'hui, à 42 ans, par téléphone, depuis Oslo, où il vient d'emménager. Et où il allie des activités de traduction à du militantisme auprès du Democratic Voice of Burma (DVB), une association d'expatriés birmans.
Initialement, Pascal Khoo Thwe n'envisageait pas de publier son travail. Mais des amis l'en ont convaincu. Et en 2002, onze ans après son exfiltration, son témoignage a finalement été rendu public au Royaume-Uni (publié par HarperCollins). En France, il sort seulement aujourd'hui. Et c'est encore toute une aventure s'il y est parvenu, grâce au hasard d'un voyage en Birmanie : celui de Christine Jordis cette fois, responsable de la fiction anglaise chez Gallimard, à qui un vieux libraire de Rangoon a confié le livre sous le manteau.
Pour tenter de retranscrire sa vie passée dans une langue qu'il maîtrisait mal, Pascal Khoo Thwe a imité la voix de sa grand-mère. Celle qui, quand il était enfant, lui disait des contes. Un ton fluide, naïf parfois, mais détaillé, presque ethnologique. Le seul moyen qu'il ait trouvé pour "faire ressentir ce que c'est que d'être à l'intérieur de la Birmanie". Et c'est sans doute cela, la vraie puissance de son témoignage. Car rien ou si peu ne sort de Birmanie depuis plus de quarante-cinq ans. Rien ne filtre, de la vie et du combat armé des ethnies minoritaires des zones frontalières du pays. Les humanitaires ont un devoir de réserve, tandis que les rares exilés ont vieilli.
TRAVAUX FORCÉS
Or Pascal Khoo Thwe raconte tout. De sa naissance, un jour de Pâques 1967, dans la tribu Padaung, une ethnie animiste convertie au catholicisme par des religieux italiens au début du XIXe siècle. De son enfance, dans les montagnes orientales, sous les papayers et les cotonniers, bénie par le culte des Nats (un rite animiste qui vise à apaiser les âmes errantes des personnes tuées) et les grenouilles, génies tutélaires. Il raconte son père, rivé à la radio d'Etat, fasciné par l'arrivée du socialisme et par l'idée que "la contrainte politique favoriserait le retour à la prospérité". Puis son désenchantement, dix ans plus tard, lorsque les médicaments viennent à lui manquer dans son métier de vétérinaire et que, les pots-de-vin s'institutionnalisant, il change définitivement d'ondes pour la BBC.
Il raconte ses onze frères et soeurs, la machine à coudre Singer de sa mère. Il dit aussi les travaux forcés, les réquisitions arbitraires à la saison des semences pour chanter des slogans progouvernementaux plutôt que planter. Les dévaluations successives qu'inspirent des médiums conseillers de la junte. L'essor de la culture du pavot, pour survivre. Les amis disparus. Plusieurs décennies d'histoire birmane finalement, qui prennent d'un coup un relief particulier.
Juste avant sa fuite dans la jungle, Pascal Khoo Thwe s'était dit que sa démarche serait celle du héros de James Joyce, Steven Dedalus. Celui qui, dans le Portrait de l'artiste en jeune homme, avait pour leitmotiv "le silence ou la ruse". Celui qui avait en réalité pour leitmotiv, mais il ne s'est souvenu des mots exacts de James Joyce que bien plus tard : "le silence, l'exil et la ruse".
UNE ODYSSÉE BIRMANE (FROM THE LAND OF GREEN GHOSTS, A BURMESE ODYSSEY) de Pascal Khoo Thwe. Traduit de l'anglais par Claire Céra, préface de Christine Jordis. Gallimard, "Témoins", 416 p., 26 €.Article paru dans l'édition du 06.02.09.Marie Walvein
jeudi, février 05, 2009
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